Le 18 mai a eu lieu une marche silencieuse à Sherbrooke, réunissant une cinquantaine de travailleurs du milieu des services sociaux. Offrir des sympathies à la fillette de Granby, se montrer solidaire avec les intervenants de la direction de la protection de la jeunesse, mais aussi dénoncer les conditions dans lesquelles les travailleurs font leur boulot. Les organismes communautaires, par la bande, sont touchés par ces conditions.

« Ce qu’on demande au gouvernement, c’est : ‟faites-nous travailler autrement”. Il y a urgence d’agir avant que d’autres tragédies ne se produisent. En tant que travailleur social, des drames, on en voit tous les jours ».

Au même moment, une pétition a fait son apparition sur le site de l’Assemblée nationale du Québec afin de demander au gouvernement en place de :

  • favoriser une approche qualitative plutôt que quantitative
  • procéder à une décentralisation des services sociaux offerts à la population
  • allouer des sommes supplémentaires récurrentes pour le maintien des services de première et deuxième lignes
  • rehausser le budget alloué aux organismes communautaires

Et finalement de « prendre au sérieux les points mis de l’avant dans cette pétition » et de « saisir leur importance comme facteurs favorisant le maintien en poste durable de ces intervenantes et intervenants sociaux qui œuvrent auprès d’humains en détresse.»

Pour prendre connaissance de cette pétition, consultez le site de l’Assemblée nationale du Québec.

 

Article complet

 

«Faites-nous travailler autrement», clament les travailleurs sociaux

La Tribune – 19 mai 2019

 

Toujours sous le choc du décès de la petite fille de Granby, une cinquantaine de travailleurs du milieu des services sociaux ont pris part à une marche silencieuse, samedi matin à Sherbrooke. Les objectifs : offrir leurs sympathies à la famille, mais surtout, se montrer solidaires envers les intervenants de la direction de la protection de la jeunesse (DPJ), qui ont fait l’objet de plusieurs critiques à la lumière des récents événements.

« Ce qu’on demande au gouvernement, c’est : ‟faites-nous travailler autrement”. Il y a urgence d’agir avant que d’autres tragédies ne se produisent. En tant que travailleur social, des drames, on en voit tous les jours ». Pour Marjolaine Goudreau, instigatrice de cette marche et présidente du RÉCIFS (regroupement, échanges, concertation des intervenantes et des formatrices en social), l’organisation actuelle du travail dans le réseau des services sociaux n’est pas différente d’une chaîne de montage automobile : « Nous, on appelle ça du toyotisme. On passe au suivant, on va de plus en plus vite, et ce n’est pas important que les travailleurs s’épuisent : en autant que le service se donne. On nous demande de traiter plus de dossiers avec moins d’interventions et moins d’intervenants. »

Ainsi, soutient Mme Goudreau, les employés de la DPJ de même que des autres secteurs se retrouvent en situation constante de surcharge de travail et de détresse psychologique. Les ressources manquent et des morceaux de la trajectoire disparaissent : « Il y a aussi tout ce qui ne se fait plus dans les CLSC en termes d’interventions. En CLSC, on devrait être capable de faire du dépistage en famille, on devrait pouvoir faire nos interventions avant que ça arrive à la DPJ. »

En bout de ligne, se désole-t-elle, des intervenantes de la DPJ peuvent se voir confier jusqu’à 25 dossiers à la fois. « C’est trop. D’habitude, ça devrait tourner autour de 10 à 12. »

Une maladie généralisée

Selon la vice-présidente exécutive de l’APTS – Estrie (Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux – Estrie), Laure Letarte-Lavoie, c’est tout le système qui est malade. « C’est tous les services sociaux qui ont besoin d’être revus, améliorés. Ce qui s’est passé à Granby, c’est qu’il y avait des problèmes en première ligne, et ça s’est rendu en deuxième ligne », partage-t-elle, suggérant d’abord que les services sociaux soient dissociés du réseau des soins de santé. « En ce moment, la santé prend le dessus. »

« On veut faire rouler des têtes sur la place publique, alors qu’on est collectivement responsables de cette tragédie. À force de couper dans le gras, on est rendus à couper dans la moelle épinière », clame Claudelle Cyr, ajoutant qu’il est impératif pour la santé du système que les citoyens cessent de demander des baisses d’impôts.

En tant que directrice du Regroupement des organismes communautaires (ROC) de l’Estrie, Mme Cyr voit les effets du manque de ressources du réseau rebondir dans sa cour. « On voit du monde en détresse qui n’a pas de réponse. Notre mission, dans le milieu communautaire, c’est de briser l’isolement des gens et de les aider à faire une reprise de pouvoir sur leur vie. Ce n’est pas supposé être du traitement. »

« On a juste été chanceux »

Présentes pour la marche, un groupe de travailleuses sociales se sont anonymement confiées à La Tribune : « Si la petite fille n’était pas décédée, on n’aurait probablement jamais entendu parler de ce problème. Il y a plein de dossiers qui dorment dans nos charges de cas et où il n’est jamais rien arrivé, mais on a juste été chanceux. On est imputables de ces gens-là. Peu importe les conditions de travail, on demeure avec la même responsabilité. »

« On éteint des feux, on ne fait même plus de prévention, a ajouté une collègue qui œuvre auprès des personnes âgées. On ne peut pas avoir la quantité et la qualité en même temps. On a à cœur de répondre aux exigences autant de l’ordre professionnel que de l’établissement, mais on n’y arrive pas, et on se le fait souvent rappeler. »

Malgré leur volonté de faire bouger les choses, le groupe constate que la mobilisation n’est pas toujours simple. « On ne veut pas se faire étiqueter par notre employeur non plus. Parce qu’au final, on travaille un peu pour celui qui cause le problème. »

Les témoignages semblables ont abondé, confirmant l’une des grandes préoccupations de la vice-présidente exécutive de l’APTS – Estrie. « Actuellement, ce n’est pas attirant de travailler dans les services sociaux. Les jeunes dans les écoles ne sont plus sûrs de vouloir venir. Il y a beaucoup de jeunes travailleurs qui souffrent d’épuisement professionnel dès les premières années. Après 2 ou 3 ans, ils partent en maladie », affirme celle qui a bien espoir que les négociations nationales de 2020 portent fruit et offrent des conditions de travail plus attrayantes à la profession. « Ce sera l’occasion pour le gouvernement de montrer qu’il est prêt à investir dans les services sociaux.

 

Source : La Tribune