Par Olivier Schmouker
L’équité salariale ? Au Canada, ce terme est une sombre joke ! Elle n’existe tout simplement pas, et n’est pas prête à voir le jour à court terme. C’est du moins ce qui ressort d’une étude fracassante du cabinet-conseil en ressources humaines ADP Canada menée en collaboration avec la firme Léger.
Aujourd’hui, les hommes touchent en général un salaire annuel 26% plus élevé que celui des femmes, la moyenne étant pour les premiers de 66 504 $ et pour les secondes de 49 721 $. Le fossé s’agrandit lorsqu’on tient compte des rémunérations additionnelles (primes, participations aux bénéfices…) : les hommes gagnent ainsi en moyenne 5 823 $, contre 3 912 $ pour les femmes ; ce qui représente un écart de 33%.
Ce n’est pas tout. Une autre donnée fait froid dans le dos : les femmes sont deux fois plus nombreuses (26%) que les hommes (14%) à indiquer qu’elles touchent un salaire inférieur à 30 000 $ par an. Ce qui représente un autre signe clair de la forte discrimination des femmes sur le marché du travail canadien.
Le plus incroyable, c’est qu’il semble que cette discrimination-là soit invisible aux yeux des employés comme des employeurs. Plusieurs chiffres saisissants en attestent :
– Les managers sont les plus susceptibles de croire que l’équité salariale est une priorité pour leur organisation : les trois quarts d’entre eux (72%) en sont persuadés. Mais voilà, les cadres, c’est-à-dire les supérieurs immédiats des managers, en sont moins convaincus qu’eux : seulement 63% d’entre eux considèrent que l’équité salariale est une priorité pour l’entreprise.
Autrement dit, cette discrimination est taboue. Nous nions a priori son existence, nous nous refusons à la voir lorsque nous la percevons, et donc, à regarder la vérité en face. Pourquoi ça? Vraisemblablement de peur de découvrir combien cette discrimination est hideuse, et par suite, notre lâcheté à son égard. Un autre chiffre le confirme :
– Les milléniaux – les 18-35 ans d’aujourd’hui – sont les plus susceptibles à affirmer qu’ils démissionneraient s’ils découvraient que l’équité salariale n’était pas respectée dans leur organisation. Ce qui, d’une part, signifie que seulement 1 jeune employé sur 2 – oui, de cette génération qui pourtant s’affiche comme la plus égalitaire de toutes – est prêt à agir concrètement pour lutter contre la discrimination salariale des femmes. Seulement 1 sur 2, je le souligne. Ce qui, d’autre part, en dit long sur l’ampleur de la lâcheté des autres générations…
«Nous sommes en 2019, et il est on ne peut plus inquiétant de constater combien les femmes sont encore discriminées au travail en matière de rémunération, dit Sooky Lee, directrice générale, impartition des ressources humaines, d’ADP Canada. À plus forte raison lorsqu’on note que les femmes représentent la moitié de la main-d’œuvre et que les employeurs canadiens se plaignent de ne pas parvenir à attirer et retenir les talents d’aujourd’hui et de demain.»
De fait, il est toujours tentant d’aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs lorsqu’on découvre qu’on se fait arnaquer sur le plan salarial…
Et Mme Lee d’enfoncer le clou : «Les entreprises qui vont parvenir à perdurer ne seront sûrement pas celles qui estiment qu’elles peuvent casser les rémunérations dès lors qu’elles recrutent une femme. Non, celles qui vont voir fleurir leurs affaires seront celles qui adopteront une culture véritablement basée sur la diversité, l’inclusion et l’équité, en particulier en matière de rémunération.»
D’où l’impératif actuel d’oser braver le tabou de la discrimination salariale des femmes ! D’en parler ouvertement, et d’identifier collectivement des solutions permettant de corriger le tir. Sans quoi, c’est ni plus ni moins l’avenir de l’organisation qui risque d’être en péril…
En passant, l’écrivain français Victor Hugo a dit dans Les Misérables : «La première égalité, c’est l’équité».
Source : Les Affaires